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Dépistage, suivi prénatal, prévention des allo-immunisations foeto-maternelles érythrocytaires et plaquettaires

21/02/2021

Le rôle du médecin biologiste dans la prise en charge multidisciplinaire de la maman, du foetus et du nouveau-né

Dr J-M. Minon


La prise en charge des allo-immunisations foeto-maternelles érythrocytaires et plaquettaires a pour objectif de dépister et de surveiller les allo-immunisations maternelles et d’en apprécier les répercussions susceptibles d’induire une anémie ou thrombopénie sévère chez le foetus ou chez le nouveau-né et ce afin de mettre en place le traitement le mieux adapté.

À L’ORIGINE, UNE INCOMPATIBILITÉ DE GROUPES SANGUINS OU D’ANTIGÈNES PLAQUETTAIRES
Les groupes sanguins s’expriment par la présence d’antigènes, situés à la surface des globules rouges, et sont définis génétiquement. Il en est de même des antigènes plaquettaires (HPA).
Durant une grossesse, il peut exister une différence d’antigène entre la mère et son bébé qu’on nomme incompatibilité.
On parle alors d’allo-immunisation lorsque la mère développe des anticorps contre des antigènes que son foetu
porte sur ses hématies ou plaquettes, hérités de son père et qu’elle ne possède pas.
L’allo-immunisation foeto-maternelle la plus fréquente reste, au niveau érythrocytaire, l’anti-D (RH1) (1/1000 naissance) et au niveau plaquettaire l’anti-HPA-1a (1/2000 naissance).

SURVENUE D’UNE ALLO-IMMUNISATION
Mis à part une transfusion antérieure, une petite quantité de sang de l’enfant peut passer dans la circulation sanguine de la mère lors d’une grossesse ou de l’accouchement. Les globules rouges et les plaquettes du foetus ou du nouveauné peuvent stimuler le système immunitaire de la mère et provoquer la production d’anticorps.
À leur tour, ces anticorps (IgG) sont capables, en passant le placenta, de se fixer sur les globules rouges (principalement lors d’une seconde grossesse) ou les plaquettes du foetus (déjà observé lors d’une 1e grossesse). Ils sont susceptibles de détruire les hématies (hémolyse) ou les plaquettes. Dans la 1e situation, il s’agit de maladie hémolytique foetale et néonatale (MHFN) dont les manifestations peuvent débuter avant la naissance (in utero), par une anémie du foetus dans les formes les plus sévères. Parfois, la maladie s’exprime seulement chez le nouveau-né : ictère et anémie. Dans la 2e situation, on parle de thrombopénie foetale et néonatale (TAIFN) pouvant être responsable de manifestations hémorragiques dont la plus grave et tant redoutée est l’hémorragie intracrânienne (HIC).
Une fois formés, ces anticorps persistent à vie chez la mère, sans aucune conséquence pour sa santé personnelle en dehors d’un contexte transfusionnel. Cependant, à chaque nouvelle grossesse, ils peuvent de nouveau traverser le placenta, avec les mêmes risques voir majorés en anténatal et postnatal pour le bébé.

DÉPISTAGE DES ALLO-IMMUNISATIONS PENDANT LA GROSSESSE
La Recherche d’Agglutinines Irrégulières (RAI) est un examen de biologie réalisé chez toutes les femmes enceintes au cours de la grossesse (1e et 3e trimestre) pour rechercher la présence des anticorps contre les groupes sanguins. En cas de positivité, dans un délai compatible avec la prise en charge, c’est l’identification (spécificité et nature) de l’anticorps et sa quantification qui permettent d’évaluer le risque de maladie hémolytique foetale et/ou néonatale. Tout anticorps potentiellement dangereux doit être commenté sur le protocole biologique de même que l’interprétation de son titre, par exemple, « Ac présentant un risque d’anémie foetale sévère », « titre au-delà du seuil nécessitant un suivi par échodoppler de l’artère cérébrale moyenne du foetus ».
Concernant la TAIFN, il n’y a pas de dépistage systématique de l’incompatibilité plaquettaire. Cette exploration est déclenchée suite à la découverte d’une thrombopénie chez le nouveau-né associé à des manifestations de diathèse hémorragique. Une recherche/identification d’allo-anticorps anti-plaquettes par au moins deux techniques dont la cytométrie de flux (figure 1a), et un génotypage plaquettaire des parents et de l’enfant par biologie moléculaire sont réalisés dans le service.

PRISE EN CHARGE PENDANT LA GROSSESSE
  • Quantification des anticorps : toutes les 2 à 4 semaines
Tout au long de la grossesse, le taux d’anticorps antiérythrocyte détecté dans le sang de la mère est surveillé régulièrement par un dosage sanguin dont la fréquence dépend du type d’anticorps. Plus le taux est élevé, plus le risque de maladie hémolytique foetale et néonatale augmente.
Pour la quantification des anticorps anti-plaquettes (figure 1b), nous travaillons avec l’Institut National de la Transfusion Sanguine à Paris avec qui nous entretenons une excellente collaboration.
  • Groupe sanguin et HPA du père
Il est à renseigner avec l’antigène cible de l’anticorps détecté chez la mère.
  • Génotypage foetal non invasif (dès 12 semaines d’aménorrhé) - Le génotypage foetal sur plasma maternel
Le « groupe sanguin » RH du bébé est déterminé par biologie moléculaire, à partir d’une prise de sang chez la mère pour s’assurer ou non de l’incompatibilité RHD, RHC, RHc, RHE. Cette technique est présente dans notre laboratoire depuis de nombreuses années. Le génotypage foetal permet, en cas de négativité, de limiter le suivi clinico-biologique (pas de l’arrêter) particulier de la grossesse et donc de réduire l’anxiété des futurs parents. En cas de positivité, le génotypage peut renforcer le respect des protocoles de suivi.
Dans la TAIFN, le génotypage plaquettaire foetal sur plasma maternel permet, en cas de positivité, de débuter un traitement à base d’immunoglobulines (IgGIV) accompagné éventuellement de corticostéroïdes pour prévenir l’apparition d’une thrombopénie lors de la nouvelle grossesse. Par notre activité clinique de thrombose-hémostase, nous assurons le suivi de ces patientes en hôpital de jour de manière hebdomadaire.
  • Transfusion in utero (entre 18 et 34 semaines)
Lorsque le bébé est en anémie sévère, il est nécessaire de réaliser une transfusion sanguine avant la naissance, in utero, au cordon sous anesthésie locale. Cette transfusion peut être ponctuelle ou répétée durant la grossesse.
Le choix du sang à transfuser incombe au biologiste qui doit maîtriser les principes et spécificités de l’utilisation des produits sanguins en période pré et néonatale.

PRISE EN CHARGE DU NOUVEAU-NÉ DE MÈRE ALLO-IMMUNISÉE
Suivi de la bilirubinémie, Coombs direct érythrocytaire ou plaquettaire (test direct à l’antiglobuline, élution, taux d’Hb et de plaquettes).
  • Transfusion à l’accouchement
Nous veillons à la disponibilité des produits sanguins, globules rouges et plaquettes, appropriés à la période néonatale et compatibles vis-à-vis des allo-anticorps maternels. En cas de nécessité, en collaboration étroite avec la Croix Rouge de Belgique, des donneurs de sang sont rappelés pour des dons spécifiques. L’acte transfusionnel va de la transfusion simple à l’exsanguino-transfusion.
Nous nous souviendrons qu’un bébé transfusé en période néonatale doit être suivi à 2 et 6 mois pour exclure une anémie tardive (par suppression de sécrétion compensatoire d’EPO due à l’anémie corrigée).

CONCLUSION
Le diagnostic d’allo-immunisation au cours d’une grossesse implique un suivi spécialisé, régulier (parfois hebdomadaire) obstétrical et biologique.
Pour la naissance du bébé, le choix de la maternité, du terme et de la voie d’accouchement (voie basse ou césarienne) seront discutés et déterminés au cas par cas par notre équipe du Centre Pluridisciplinaire de Diagnostic PréNatal (CPDPN) en fonction de l’évolution de l’allo-immunisation et de la gravité présumée de la maladie hémolytique ou thrombopénique néonatale.
Pour notre discipline à la fois biologique et clinique, nous disposons d’une unité d’immuno-hématologie spécialisée avec les dernières techniques, d’une banque de sang adéquate et d’une consultation de thrombose hémostase. Cette dernière est recommandée pour préparer une éventuelle nouvelle grossesse dans un contexte d’allo-immunisation érythrocytaire ou plaquettaire (dans cette dernière, recommandée aussi aux soeurs en cas d’immunisation anti-HPA-1a).

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RÉFÉRENCES
  • Management of neonatal thrombocytopenia in a context of maternal antiplatelet alloimmunisation : expert opinion of the French-speaking working group. G Bertrand, L Blouin, F Boehlen, E Levine, JM Minon, N Winer. Archives de pédiatrie, 2019.
  • Anti-D prophylaxis reviewed in the erea of foetal RHD genotyping. JM Minon, Ch Gerard, F Chantraine, M Nisolle. J Blood Disord Transfus 2015.