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Et si vieillir était un art ? Détecter les signes avant-coureurs du vieillissement pour prévenir la dépendance et s’y préparer

14/10/2021

Dr Emmanuelle Warzée
 
Le concept de fragilité est défini comme une réduction multisystémique des réserves physiologiques de l’individu limitant ses capacités à répondre au stress, même mineur, ou à un changement d’environnement(1). La littérature étudie de plus en plus ce concept mêlant des facteurs cliniques et biologiques. Toutefois, force est de constater que, même si la fragilité reste réversible, il est très difficile de la corriger une fois établie. L’intérêt réside donc dans le dépistage de facteurs de vulnérabilté risquant de mener, à terme, à la fragilité, avant que cette dernière ne se développe.

 

Qu’est-ce qui est considéré comme un vieillissement réussi?

D’après le rapport de l’IWEPS (Institut Wallon de l’Evaluation, de la Prospective et de la Statistique), la population wallonne considère un vieillissement comme réussi quand les capacités cognitives, sociales et l’autonomie sont préservées.
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) considère que vieillir en santé, « c’est garder ses fonctions pour continuer à faire ce qui est important pour chacun d’entre nous ».
Pour ce faire , il faut donc considérer le temps de vie sans incapacité. à cela s’ajoute une dimension sociale de maintien d’intégration, sans devoir dépendre d’un proche ou d’une aide quelconque.
Enfin, la notion de qualité de vie reste également très importante et sa définition est variable d’une personne à l’autre. Cependant, on peut avancer que ce ne sont pas les conditions objectives qui ont des conséquences « réelles », mais plutôt l’interprétation subjective qu’en fait l’individu(2).
Par ailleurs, la fragilité des seniors est de plus en plus étudiée et les facteurs de vulnérabilité qui pourraient y mener commencent à être considérés. L’ensemble des auteurs s’accordent sur l’importance du dépistage et de la prévention.
 

Facteurs permettant d’envisager un vieillissement réussi

Le niveau socio-éducatif a un impact net. Ainsi, les ouvriers vivent en moyenne moins longtemps que les cadres et passent plus de temps avec des incapacités. à 35 ans, les hommes cadres supérieurs ont une espérance de vie de 47 ans, soit 6 années de plus que les ouvriers et 10 années de plus indemnes d’incapacités(3).
Un des facteurs explicatifs est la prévalence supérieure du tabagisme chez les ouvriers. L’accès à la prévention et au dépistage intervient également.
Par ailleurs, une hygiène de vie plus « saine » peut également entrer en compte avec une activité physique et une alimentation équilibrée comprenant fruits et légumes.
 

Quel est l’intérêt de prévenir?

Prévenir dans le domaine de la santé, c’est agir afin de diminuer la probabilité de survenue d’un risque : accident, déficience, maladie, incapacité(4).
Il existe trois niveaux de prévention : primaire, secondaire et tertiaire.
  • La prévention tertiaire, quand les déficits sont installés, visent à limiter l’impact de ceux-ci. C’est généralement ce qui est fait avec la population rencontrée en hôpital de jour gériatrique.
  • La prévention secondaire, visant à diagnostiquer et traiter une maladie est ce qui fait notre quotidien commun en consultation de médecine générale et en hospitalisation.
  • La prévention primaire, intervenant avant même l’apparition de la maladie, est, par contre, souvent laissée de côté chez les seniors et négligée dans la littérature. Toutefois, certains articles commencent à faire état de son intérêt.
Ainsi, par exemple, le sevrage tabagique est bénéfique chez les fumeurs âgés. L’abandon du tabac diminue le taux de mortalité et de morbidité. Les effets de l’arrêt du tabac sont les plus immédiats sur les maladies cardiovasculaires. Une étude de cohorte de 2013 a montré un gain d’espérance de vie de 4 ans chez les fumeurs qui ont arrêté de fumer à l’âge de 65 ans(5), sans parler de l’impact sur la qualité de vie.
De même, le sevrage en benzodiazépines, molécules fréquemment utilisées chez les seniors, induit de nombreux effets secondaires justifiant un sevrage progressif en prévention. La co-occurrence de l’effet sédatif et myorelaxant peut entraîner de graves conséquences. Par exemple, la somnolence diurne jumelée à la relaxation musculaire entraîne des pertes de coordination motrice, des sensations d’ébriété et de vertige et des épisodes d’ataxie(6). Ces états augmentent les risques de chute avec fracture de la hanche(7). Ce type d’accident est menaçant pour les personnes âgées, en raison des complications qui en découlent et qui peuvent mener au décès(8). Ici la prévention, passant par un sevrage progressif, montre donc tout son intérêt.
 

Qu’est-ce qui est réalisable en consultation de médecine générale?

Outre le rôle essentiel du médecin de famille en termes de prévention, vaccination et dépistage, certaines aides ont été mises en place.
Ainsi, en 2019, l’OMS a sorti son applicaton ICOPE (Integrated Care for Older People). L’objectif est de mesurer les 5 capacités intrinsèques considérées comme essentielles en prévention de la perte d’autonomie. Ces capacités sont la mobilité, la mémoire, la sphère sensorielle (vue et audition), l’état nutritionnel et l’humeur.
L’application, qui peut être installée sur un smartphone, dispose d’un outil de formation. Le patient peut effectuer seul la première étape avec l’aide d’un proche.
L’utilisation de cette application se fait en 5 étapes. La première consiste en un screening par l’évaluation, la deuxième étape permet une évaluation plus approfondie d’une fonction lorsqu’une perte est observée au screening. Cette étape requiert l’aide d’un professionnel de la santé. L’étape 3 permet la synthèse et la proposition de suggestions. Le suivi des suggestions s’effectue à l’étape 4. Enfin, l’étape 5 correspond à la mise en place des ressources nécessaires sur le territoire pour prévenir la dépendance.
Toutefois, le dépistage approfondi peut prendre un certain temps, surtout lorsqu’il y a plusieurs sphères à explorer. Ceci peut donc être rapidement chronohage lors d’une consultation.
 

Que peut vous proposer le service de gériatrie du CHR de la Citadelle?

Pour les aînés déjà identifiés comme fragiles, et sur demande du médecin traitant, l’équipe pluridisciplinaire peut, lors d’un passage en hôpital de jour gériatrique, proposer un bilan complet permettant de voir où se situent les fragilités et les capacités résiduelles. Sur cette base, le gériatre effectuera une synthèse qui vous sera envoyée. Une révision des effets secondaires potentiels des médicaments sera également réalisée de façon systématique. Divers examens complémentaires peuvent également être pratiqués, de même que le suivi chez un autre spécialiste de l’hôpital. Par exemple, le suivi post intervention orthopédique ou les consultations pré-TAVI s’organisent en pluridisciplinarité en hôpital de jour de façon régulière.
Pour les seniors non identifiés comme fragiles et plus jeunes, le CHR de la Citadelle a pour projet de mettre en place une prise en charge de « bien vieillir ». Il s’agit de responsabiliser les personnes dans leur vieillissement. Le but n’est pas d’empêcher un vieillissement physiologique ou de le nier mais plutôt d’impliquer la personne dans sa prise en charge et de la responsabiliser quant aux mesures réalisables quotidiennement. L’objectif est d’établir un plan d’action personnalisé (exercices physiques, aide au sevrage tabagique, prise en charge de l’incontinence d’effort, etc.) que le patient sera alors libre de suivre ou non.
Cette prise en charge se fait à l’initiave du patient ou de son médecin traitant. Le senior reçoit d’abord un questionnaire à remplir, regroupant des échelles d’auto-évaluation. Il lui est également demandé de mesurer son nombre de pas quotidiens à l’aide d’un podomètre. Ensuite, le patient passe une journée en hôpital de jour durant laquelle un bilan complet est réalisé. Les sphères cognitives, l’audition, la vue, la mobilité et l’activité physique, la nutrition, la thymie, les activités sociales y sont explorées. Un examen médical et une anamnèse détaillée complets, assortis de biologie, peak flow et radio thorax, sont également réalisés. Un mois plus tard, le senior est ensuite revu par le gériatre avec une synthèse de l’évaluation. Un plan personnalisé lui est remis ainsi qu’à son médecin traitant.
Malheureusement, ce type de prise en charge novatrice et unique en Belgique n’est pas remboursée par l’INAMI, et donc entièrement à charge du patient.
Le public cible correspond à toute personne de plus de 60 ans désireuse de prendre sa santé en charge.
 
Références
  • Campbell AJ, Buchner DM. Unstable disability and fluctuations of frailty. Age ageing 1997 ;26(4) :315-8.
  • HJ von Kondratowitz et al, La qualité de vie des personnes âgées dans les États-providence européens, Retraite et société 2003/1 (no 38), pages 133 à 169
  • Cambois et al, 2008
  • B Cassou, Prévenir les maladies et promouvoir la santé des personnes âgées, Gérontologie et société, 125, juin 2008, 11-22
  • Prabhat Jha et al, 21st-Century Hazards of Smoking and Benefits of Cessation in the United States, N Engl J Med 2013 ; 368 :341-350 Julien, 1999
  • Leipzig et al., 1999 ; Salzman et Lebowitz, 1991
  • Herings et al., 1995 ; Ray et al., 1987