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La nosocoméphobie, cette maladie invisible qui fait fuir le patient

08/12/2022

Véronique Ghesquière, Cheffe du service Politique & Monitoring et Responsable de la Cellule Convention ONU Handicap, Unia 

Dr Gaëtan Letesson, Chef de service, Médecine nucléaire
 

Le thème de cette conférence n’est en rien lié à la crainte d’un éventuel résultat médical dont la gravité peut, tout naturellement, entraîner de l’anxiété voire une peur profonde. Non.

Ici, il s’agit bien de ce que les psychologues et les psychiatres nomment “nosocomephobie”… c'est-à-dire :

“Phobie des établissements de santé et de tout ce qui a un rapport avec la médecine”… Voilà le coeur de notre sujet, la peur des hôpitaux ou autres maisons de soins.

Comme vous le savez, une phobie implique le plus souvent une manoeuvre dite “d’évitement”. Dans le cas précis, cela écarte le patient qui en souffre d’un établissement de soins dont il aurait pourtant bien besoin…avec les conséquences que vous imaginez.

L’origine de ce trouble prend le plus souvent sa source dans un traumatisme qui, pour certains, remonte à leur plus tendre enfance. De plus, lorsque cette phobie s’exprime au sein d’une famille, une transmission, d’ordre implicite, peut s’exprimer via un comportement mimétique de l’enfant vis-à-vis du parent facilitant un ancrage de cette phobie dans son esprit.

Dans tous les cas, ce trouble comportemental engendre d’importantes souffrances et ce, en dehors de toute autre pathologie. 

De quelle souffrance parlons-nous ? De quels symptômes ?

D’attaques de panique avec tous les symptômes qui l’accompagnent jusqu’à l’évanouissement et potentiellement de violentes réactions physiques. 

Notre attention au spectre de cette phobie doit s’étendre aux craintes liées à toute situation au sein d’un hôpital. Un parallèle peut donc être réalisé avec la nosophobie (la peur des germes) ou encore l’aichmophobie (la peur des piqûres), mais aussi l’agoraphobie ou la claustrophobie, etc. 

Que faire face à ces situations ?

Le premier pas est de reconnaître ces troubles afin d’y apporter un ensemble de solutions qui, à terme, permettent à ces patients d’être pris en charge comme les autres. 

Cela va de l’accueil et de l’encadrement à l’utilisation de techniques comportementales ou d’hypnose par exemple. 

L’installation d’un cadre “dédramatisant” peut être citée comme pour la RMN de la Citadelle où un dispositif spécifiquement pensé pour les enfants a été mis en place avec une salle d’essai ludique : “l’IRM en jeu”. 

L’information est également un outil précieux. En effet, la compliance d’un patient sera toujours plus grande s’il comprend le pourquoi et le comment de sa venue et des ses examens. Déjà vrai pour un patient lambda, cela s’avère central pour un patient phobique. Des capsules vidéo explicatives et accessibles, par exemple, représentent un excellent moyen d’y parvenir. 

Mais, plus que tout, une écoute attentive, une approche réflexive et empathique resteront la première ligne indispensable. 

Bien entendu, à plus long terme, un suivi par un spécialiste aura toute son importance pour que, petit à petit, ces phobies soient domptées. 

Est-ce suffisant ? N’avons-nous pas négligé un autre aspect ?

Il existe un autre écueil que nombre de patients peuvent rencontrer. Le frein à leur bonne prise en charge ne vient pas d’une crainte liée à l’institution mais du regard ou autres préjugés en lien avec leur situation, et parfois au manque d'infrastructure adaptée. De qui parle-t-on ici ? De personnes souffrant d’un trouble d’handicap mental (de type autistique par exemple), de perception de son corps (grossophobie, anorexie...) ou encore de crainte d’ordre ethnique ou de genre.

Une politique inclusive et proactive est la seule réponse. Elle doit s’appuyer sur des démarches institutionnelles et des structures adaptées. Citons par exemple la cellule “Welcome” de la Citadelle dont l’équipe se compose de médicaux et paramédicaux sensibilisés à la prise en charge de patients souffrant d’un handicap mental ou physique et ce, de manière multimodale permettant de les accueillir dans les différents services avec toute l’attention dont ils ont besoin. Ou encore d’une campagne de sensibilisation à ces problématiques “Je ne veux pas t’encadrer” réalisée il y a peu au sein de notre institution.

Bien entendu, des partenariats s’avèrent nécessaires afin de compléter ces initiatives. Des organismes tels qu’Unia peuvent, par leur background de terrain, apporter toute leur expertise.

Toutefois, une question demeure…Comment savoir qu’un patient souffre de ce problème ?

La réponse à cette question est évidente. Le médecin généraliste représente ici le pivot sine qua non

En effet, par sa proximité et sa connaissance de ses patients, le généraliste est la première source où puiser et ce, afin de prévenir au mieux et d’aiguiller au plus juste ces patients nosocoméphobiques ou associés. C’est donc bien un partenariat gagnant-gagnant que nous désirons établir entre la première ligne de soins, dont les médecins généralistes sont les dépositaires, et les soins spécialisés là où le patient craint de se rendre.

Ensemble, avec le concours de nos patients, nous pouvons trouver des solutions adaptées qui ouvriront les portes de nos institutions de soins à tous, sans discrimination de quelque nature qu’elle soit. 

Comment éliminer les obstacles dans l’accès aux soins et aux hôpitaux pour les personnes en situation de handicap ?

Certaines personnes rencontrent des difficultés à se rendre à l’hôpital et à se faire soigner. Elles ont des besoins spécifiques liés à leur situation qui demandent des réponses appropriées. Chat échaudé craint l’eau froide, certaines renoncent alors à s’y rendre et à se soigner. 

Unia, le centre interfédéral pour l’égalité des chances, est un service public indépendant chargé de lutter contre les discriminations fondées sur différents motifs comme le handicap, l’état de santé, l’origine, l’orientation sexuelle, la caractéristique physique, les convictions religieuses ou philosophiques, l’âge, pour ne citer que les plus fréquentes. 

Il a aussi pour mission de suivre l’application en Belgique de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. 

Depuis des années, Unia reçoit des signalements de personnes ou d’associations qui les représentent concernant l’accueil, les conditions de soins, les équipements et le manque d’aménagements dans les hôpitaux. Cela concerne des situations multiples. Des personnes avec de l’autisme, une déficience intellectuelle, des troubles psychiques, qui doivent être rassurées, accompagnées. Des personnes électrosensibles qui demandent des aménagements techniques. Des personnes obèses ou avec un handicap moteur pour lesquelles les équipements ne sont pas adaptés. Ou encore des personnes sourdes qui ont besoin d’un interprétariat en langue des signes.

Toutes ces situations ne peuvent pas être résolues facilement mais la situation de handicap est bien une confrontation entre, certes, un problème de santé, une incapacité existante mais aussi un environnement inadapté. C’est ce qu’on appelle le modèle social du handicap. Si l’on peut agir sur le problème de santé ou sur l’incapacité (pas toujours), on peut aussi agir sur cet environnement.

Pendant la crise sanitaire, le défaut d’aménagement pour ces publics a été exacerbé. Unia a réitéré un certain nombre de recommandations afin que ces personnes puissent bénéficier, pendant et en dehors de périodes de pandémie, de soins de qualité sur un pied d’égalité avec les autres patients. 

La mise en place – anticipée, c’est encore mieux – d’aménagements raisonnables doit être couplée avec une sensibilisation, voire une formation pour que la méconnaissance de certaines situations, ainsi que certains clichés que nous entretenons sur les personnes n’aggravent pas leur peur de l’hôpital. 
 

Take home messages :

_ La prise en charge d'un patient souffrant de nosocoméphobie ou autres assimilés nécessite une attention toute particulière et une réponse adaptée.

_ Ces peurs sont à la fois liées aux institutions de soins et aux actes qui y sont pratiqués mais aussi au regard des autres qu’il soit réel, implicite ou imaginé.

_ Des solutions doivent être pensées en concertation avec tous les acteurs : patients, corps médical au sens large et institutions extérieures à l’expérience prouvée dans ces domaines. 

_ Le médecin généraliste représente le lien indispensable au travers et à partir duquel nous pouvons construire une politique d’accueil adaptée à ces patients.